La Revanche du passé – Histoire de Noël 6/7

LA REVANCHE DU PASSÉ – HISTOIRE DE NOËL 6/7
Un roman court de Guy D’Eyliac
Hébergé, au cours d’un orage, par un vieux montagnard de l’Oisans, Jean Renaud est bouleversé par un récit de son hôte, son ancêtre, colporteur, était peut-être un criminel ! 

Source Gallica : Revue Guignol – cinéma des enfants
Date d’édition : 6 janvier 1935

Autre récit :
La Goule blanche

LA REVANCHE DU PASSÉ  1/72/73/74/75/7 – 6/7

CHAPITRE VI
LES TRACES DU PASSÉ

Le lendemain, à onze heures, Jean descendit dans la salle à manger de l’hôtel où son couvert était préparé.
Il avait échangé son habituel costume de sport contre un élégant complet bleu marine. Il se mit à table en constatant avec surprise qu’un second couvert était dressé en face du sien. Il entamait son repas lorsque Olivier parut à son tour. Lui aussi avait arboré une tenue citadine.
Son costume gris, sa délicate pochette de soie blanche contrastaient avec le chandail beige et le pantalon de golf qu’il portait à l’ordinaire.
Jean fronça les sourcils.
— Comment ? tu m’accompagnes ? s’informa-t-il d’un ton mécontent.
Olivier, narquois, s’assit en face de son camarade et déplia lentement sa serviette.
— Ça n’a pas l’air de te faire plaisir que j’aille avec toi ? questionna-t-il en se servant une large tranche de rôti. Rassure-toi. Je n’ai pas l’intention de t’escorter chez les La Clos-Perrière. Je profite simplement de l’autobus pour me rendre à Vaujany. J’ai, moi aussi, une visite à faire.
Jean n’insista pas. Il interrogea seulement d’un ton différent :
— Alors, tu plaques ta sœur et son amie ?
— Je crois qu’elles se passeront fort bien de nous.
M. Blanchel doit les accompagner à Bourg-d’Oisans où a lieu un match de ping-pong.
Le silence tombe entre les deux garçons qui déjeunent hâtivement. Puis Jean relève brusquement la tête.
— Dis-moi, Olivier, peux-tu m’expliquer comment il se fait que Mme de La Clos-Perrière et sa fille se trouvent à Vaujany quand je les croyais à Annecy et comment Mlle Édith s’est jointe à nous si inopinément hier ?
— C’est tout simple, mon cher ! Le Val d’Olle, abandonné depuis si longtemps, est difficilement habitable. C’est pourquoi elles se sont installées ces jours-ci dans une petite maison qu’elles possèdent à Vaujany. D’autre part, Édith est une amie de pension de Simone Blanchel.
Sachant cette dernière à l’Hôtel des Grandes Rousses, elle s’est informée auprès du chauffeur du car, a appris notre projet d’excursion au Lac Blanc et s’est décidée à se joindre à nous. Simone Blanchel a été très surprise en la voyant débarquer devant l’hôtel hier matin.
— Ce n’était donc pas concerté entre elle et toi ?
— Pas le moins du monde ! Si j’ai insisté pour que tu nous accompagnes, c’est parce qu’il me semblait que cela faciliterait ta besogne.
— J’entends le car ! dit Jean en se levant.
Il plie rapidement sa serviette et sort de la pièce.
Dix minutes plus tard, les deux jeunes gens roulent vers Vaujany.
Pendant tout le trajet, Jean, silencieux, considère le défilé rocheux où s’enfonce la route étroite. À gauche se dressent les rochers abrupts de Rissiou tandis que, sur la droite, le Grand glacier des Rousses se détache si nettement dans la chaude journée bleue que Jean distingue, ligne noire très précise, la longue crevasse qui le traverse. Au-dessous du glacier, tranchant sur la roche grise, la cascade de la Fare tombe, masse d’eau saisissante, jusque dans le torrent du Flumet.
L’autobus traverse plusieurs hameaux. Bientôt Vaujany étale au plein soleil les façades de ses vieilles maisons aux solides assises de pierre, aux larges toits d’ardoises à pans coupés. Le car s’arrête à l’entrée du village. Jean et Olivier en descendent. Tout de suite, Olivier prend congé de son ami.
— À ce soir, mon vieux. Bonne besogne et bon courage !
Jean s’engage dans la rue, l’unique rue raboteuse et mal nivelée, qui s’en va sous le soleil jusqu’au prochain village. Il s’informe auprès des vieux assis au seuil des portes et parvient enfin devant une modeste petite maison qui abrite sous un toit biscornu sa vieille façade placardée de mousse. Le heurtoir résonne profondément sous la main nerveuse du jeune homme. Presque aussitôt une femme âgée ouvre la porte.
— Madame de La Clos-Perrière et Mademoiselle Édith !…
Sûr qu’elles sont là ! répond-elle à la question de Jean.
Édith ne tarde pas à paraître.
— Je vous attendais avec impatience ! déclare-t-elle en introduisant son visiteur dans un petit salon égayé par des tentures claires et dont les deux fenêtres s’ouvrent sur un jardinet dominant la combe profonde du Flumet.
— Voulez-vous vous asseoir ? Je monte prévenir maman.
Demeuré seul, Jean perçoit bientôt le son grave et profond d’une chute d’eau qui doit être toute proche.
Intrigué, il s’avance vers la fenêtre. En face de lui s’étend l’immense massif des Rousses, chaîne rocheuse plaquée de traces roussâtres. Le glacier s’est reculé, formant un imposant décor, et la cascade de la Fare apparaît dans toute la vigueur du premier plan. C’est au point où la roche forme un à-pic saisissant que commence l’inaccessible chute. Une pluie d’écume blanche et vaporeuse tombe, se blesse sur le roc, rejaillit en gerbes pour retomber encore. Ce voile d’une inviolable blancheur développe éternellement ses plis avec, pour accompagnement, un chant d’orgue grave et profond dont les oreilles de Jean perçoivent la sonorité triste.
Une voix douce arracha le jeune homme à sa contemplation.
— Vous admirez notre cascade, monsieur Renaud ?
Jean se retourna vivement et s’inclina devant Mme de La Clos-Perrière. Souriante sous ses cheveux prématurément blanchis, très droite, mais avec une grande douceur d’expression, elle serra la main de Jean avant que celui-ci eût pu prévenir son geste et lui désigna un fauteuil. Elle-même prit place en face de lui. Édith s’assit au fond de la pièce sur un canapé bas.
— Ainsi, monsieur, reprit Mme de La Clos-Perrière, il paraît que vous avez découvert en Belgique des objets portant nos armes ?
— Oui, madame. Et je me suis fait un devoir de vous les rapporter.
Il ouvrit le coffret de cerisier qu’il tenait sous son bras et le tendit à son interlocutrice. Édith s’approcha, curieuse de voir le contenu du coffret. Mme de La Clos-Perrière en sortit d’abord le nécessaire qu’elle examina avec soin, puis la chevalière et enfin l’enveloppe au cachet armorié.
Jean expliqua en quelques mots les circonstances dans lesquelles il avait découvert le coffret.
— Quel étrange retour des choses ! murmura Mme de La Clos-Perrière. Ce sont bien là, à n’en pas douter, les objets qu’avait emportés Jean-Renaud.
Jean releva la tête.
— De qui parlez-vous, madame ?
— De Jean-Renaud de La Clos-Perrière, celui qui conspira et dut s’enfuir.
— Cela vous étonne, monsieur Jean ? s’écria vivement Édith. Ce nom, qui est le vôtre, était le prénom de mon arrière-grand-oncle. Je n’avais pas fait ce rapprochement hier. Je n’y ai pensé que ce matin et j’ai beaucoup réfléchi depuis.
Jean releva les yeux vers Mme de La Clos-Perrière qui lisait le papier contenu dans l’enveloppe cachetée. Il ne songeait qu’aux explications qu’il allait devoir fournir.
— Vous croyez alors, madame, interrogea-t-il, que ces objets ont appartenu à… au proscrit ?
— J’en suis certaine, bien qu’ils ne se trouvent pas au complet dans ce coffret. Ceci en est d’ailleurs une preuve, ajouta-t-elle en désignant le papier jauni.
— Comment cela ?
— Cette lettre n’est autre que le signal de l’insurrection. Vous n’en connaissez pas tous les détails, sans doute ? Mais vous savez qu’un certain Paul Didier fut l’âme du complot. Cet avocat, très dévoué à la cause bonapartiste, s’occupait de l’exploitation des mines des Chalanches. Notre famille ayant de gros intérêts dans ces mines, les rapports entre Paul Didier et Jean-Renaud de La Clos-Perrière étaient à peu près journaliers. Jean-Renaud, à cette époque, avait à peine dix-huit ans. C’était un garçon ardent, fervent admirateur de Napoléon, en dépit des opinions royalistes de sa famille. Il n’avait pas vu d’un bon œil le retour des Bourbons sur le trône. Il se laissa donc facilement entraîner par Paul Didier qui en fit son principal agent de propagande. Bravant les idées de son père, le jeune homme eut vite rallié tous les mécontents, qui étaient nombreux en ces temps troublés.
Lorsque, en mai 1816, Didier jugea le moment venu de faire éclater l’insurrection, il adressa à tous les conjurés cette courte lettre qui, sous couleur d’invitation à une noce de campagne, donnait le signal du mouvement.
Vous savez comment ce mouvement, mal dirigé, échoua dès le début et comment les conjurés furent dispersés par la troupe. Paul Didier avait pu prendre la fuite. Il se réfugia au River d’Allemont, fut trahi par un habitant du village, trahison inutile du reste, car les gendarmes alertés arrivèrent trop tard. Didier venait d’être découvert par des carabiniers piémontais. Son procès ne traîna pas.
Deux jours après son arrestation, il montait sur l’échafaud.
— Et Jean-Renaud ? interrogea Jean.
— Jean-Renaud se réfugia au Val d’Olle lorsque le mouvement eut échoué. Une scène terrible éclata entre son père et lui. Le chef de famille reniait ce fils dont les idées et les actes étaient si opposés aux siens. Jean-Renaud répondit fièrement qu’il allait franchir les montagnes de l’Oisans, passer la frontière et qu’à l’étranger on ignorerait toujours le nom et le titre auxquels il renonçait à jamais. Il jura qu’en Oisans, nul n’entendrait plus parler de lui, puis il monta une dernière fois dans sa chambre pour s’y livrer à de rapides préparatifs. Le malheureux garçon recueillit les souvenirs qui lui étaient le plus chers : ce nécessaire qui avait appartenu à sa mère, morte toute jeune, ainsi qu’une petite chevalière qu’il tenait également d’elle. Il obtint le pardon de son père, embrassa son frère, alors âgé de dix ans et quitta le Val d’Olle en pleine nuit, escorté par un valet de ferme, Ferréol Odoard. Ce dernier rentra quarante-huit heures plus tard, ayant laissé son maître caché dans les rochers du Lac Blanc. Il le croyait sauvé, car les gendarmes avaient perdu leurs traces et Jean-Renaud connaissait ses montagnes aussi bien que les petits pâtres d’Allemont.
» Personne ne sut jamais ce qu’était devenu le proscrit.
Il est permis de croire qu’il put passer à l’étranger, bien que les recherches entreprises par son frère, l’arrière-grand-père d’Édith, soient toujours demeurées vaines.
Jean secoua la tête.
— Je ne pense pas qu’il ait pu fuir, madame. Car dans le coffret que je viens de vous remettre, il y avait aussi un couteau, un vieux couteau de montagnard, et ce couteau, j’en ai la certitude, provenait d’un traître, celui-là même qui livra Jean-Renaud de La Clos-Perrière.
— Mais qui était donc ce traître ? s’écria Édith.
— Mademoiselle, j’aurais voulu vous taire son nom, mais je dois vous en faire l’aveu. Ce traître, c’était hélas ! mon arrière-grand-père !
Jean, debout en face des deux femmes, avait prononcé ces derniers mots d’une voix ferme. Mme de La Clos-Perrière ferma un instant les yeux. Édith jeta un cri de stupeur, puis, très vite, se ressaisit.
— Mais ce n’est pas possible, cela ! vous vous trompez !
Comment se fait-il, alors, que vous vous appeliez jean Renaud, comme le proscrit ! Si vous saviez, vous ressemblez tant au portrait du Val d’Olle ! Je suis sûre que vous descendez en droite ligne du proscrit et que votre vrai nom est Jean-Renaud de La Clos-Perrière !
La voix vibrante se tut. À ce moment, la porte du petit salon s’ouvrit lentement et Olivier parut. Profondément troublé par la brusque profession de foi d’Édith, Jean ne songea pas à s’étonner de cette arrivée intempestive. Très à l’aise, une flamme au fond des yeux, Olivier s’inclinait.
— Je m’excuse, madame, de m’introduire ainsi chez vous ! Jean, veux-tu me présenter ?
Jean articula d’une voix blanche :
— Olivier Champieux…
Olivier baisa la main de la maîtresse de maison, puis se tourna vers son ami.
— Jean, tu te plaignais de manquer de preuves ; cette fois, je t’en apporte.
Puis, s’adressant à Mme de La Clos-Perrière :
— Cet hurluberlu vous a confié, n’est-ce pas, madame, qu’il se croyait l’arrière-petit-fils d’un assassin. Vous a-t-il expliqué sur quelles bases il appuyait ses jolies suppositions ?
Le ton badin qu’avait adopté Olivier fut une détente pour tous.
— Mais non ! protesta Édith, il ne nous a rien expliqué du tout !
Olivier jeta à Jean un regard chargé de reproche.
— Parle ! Raconte-leur !… supplia ce dernier. Moi, je ne comprends plus… D’ailleurs, je vois que tu en sais bien plus long que moi…
Alors, Olivier répéta aux deux femmes attentives le récit du vieux Souchey. Comme il achevait, Jean tourna vers Édith son visage bouleversé.
— Vous voyez, dit-il, que je ne me trompais pas et que la vérité est bien différente de ce que vous imaginiez tout à l’heure. Comment ne pas conclure que la main qui a frappé ce jeune berger de l’Emparis avait frappé déjà le malheureux proscrit et lui avait dérobé ce nécessaire et cette bague qu’il emportait avec lui en exil ?…
Mais Olivier interrompit Jean :
— Prends patience. Tu ne connais pas encore la vérité. Madame, me permettez-vous d’introduire ici quelqu’un qui m’a accompagné tout à l’heure ?
Sur un signe d’assentiment, Olivier alla vers la porte.
Mme de La Clos-Perrière, fort émue, se tourna vers Jean :
— Votre ami a raison, monsieur Renaud. Vous ignorez certains détails et c’est ce qui a amené votre douloureuse méprise. Ayez confiance ! Je crois que je démêle maintenant la vérité !

À ce moment, le nouveau venu s’encadrait dans la porte. C’était un petit vieillard maigre et courbé. À sa vue, Mme de La Clos-Perrière eut une exclamation de surprise.
— Vous ! mon brave Pierre !… Soyez le bienvenu. Vous allez faire la clarté dans ce débat. Asseyez-vous.
— Excusez-moi, madame, disait le petit vieux appuyé sur sa canne. Je n’aurais peut-être pas dû oser !…
— N’ayez pas peur, monsieur Odoard, dit Olivier en approchant une chaise pour son compagnon. Voulez-vous répéter à ces dames tout ce que vous venez de me dire tantôt ?
De vieillard se gratta le menton, toussota et commença d’une voix chevrotante :
— C’est rapport à mon père, madame, quand il a aidé M’sieu Jean-Renaud pour qu’il en réchappe. Mon père me l’a souvent narré et je vous le répète comme je le lui ai entendu dire. Ils étaient donc partis du Val d’Olle à la nuit noire, ils avaient marché vers Huez et de là, d’une seule traite, ils avaient gagné l’Emparis. C’est alors qu’au matin, mon père a vu qu’ils étaient poursuivis et que les gendarmes d’Allemont marchaient sur leurs traces.
Alors, fatigués comme ils étaient, ils se sont réfugiés dans un chalet mal clos et ils se sont couchés dans le vieux foin en s’y cachant. Ils y sont restés tout le jour et le soir, ils ont discuté pour savoir ce qu’ils allaient faire. Leur première idée avait été de passer le Lautaret et que M’sieu Renaud gagne l’Italie par le plus court.
Mais à présent, ils s’attendaient bien à être bloqués par les gendarmes puisqu’on les avait repérés. Alors, fallait bifurquer.
» Dans les rochers du Lac Blanc, qu’a dit mon père.
Des gendarmes s’y casseront le cou ; faut s’y cacher !
» Seulement, M’sieu Jean-Renaud avait emporté des babioles à se faire reconnaître par n’importe qui. Mon père l’a disputé pour lui faire jeter tout ça, mais M’sieu Jean-Renaud refusait parce que c’était le seul avoir qui lui restait, le pauvre ! Alors, dans la cuisine du chalet, y-z-ont ouvert un placard, y-z-ont décloué la planche du fond et c’est là-dessous qu’y-z-ont caché tout le paquet.
Et puis y-z-ont tout remis en place et M’sieu Jean-Renaud répétait :
» Je reviendrai les chercher ! Je le jure !
— Monsieur Odoard, coupa Olivier, voulez-vous préciser quels étaient ces objets qui risquaient de compromettre Jean-Renaud ?
Le vieux paysan branla la tête.
— Oh ! y avait pas grand’chose !… Mais c’était beau et précieux, c’est sûr !… Un nécessaire, qu’on dit, en or, avec dé, ciseaux et tout, que M’sieu Jean-Renaud gardait de sa défunte mère, la bague d’or de la pauvre dame et puis la propre bague de M’sieu Jean-Renaud et une lettre « en parler secret » qui disait qu’on allait faire la révolution ; enfin, toutes choses bonnes à le faire reconnaître et arrêter. Quand y-z-ont eu tout remis en place, ils sont repartis pour les rochers du Lac Blanc. Et là, ils ont attendu encore tout un jour et puis mon père a quitté M’sieu Jean-Renaud pour qu’à soi seul il se défile mieux des gendarmes. M’sieu Jean-Renaud devait cette même nuit gagner le col du Couard et après ça, passer en Savoie par le col du Glandon. On n’a pus rien appris de lui, comme vous le savez. Et maintenant, tout ça, c’est bien loin dans le temps passé ! acheva le petit vieux en s’épongeant le front.
Des visages rayonnaient, maintenant, autour de Pierre Odoard. Olivier lui fit préciser :
— Et vous me disiez que votre père était retourné dans ce chalet et n’y avait plus retrouvé les bijoux ?…
— Oui, dame !… Mon père a attendu tout l’été parce que le chalet était habité pendant les beaux jours. Et puis, au commencement du froid, quand les bergers sont redescendus des alpages, il est monté y voir. La planche du placard était bien en place, mais dessous, bernique ! Y avait pus rien !
— Jean-Renaud était revenu les chercher, j’en suis sûr maintenant ! conclut Olivier avec une émotion contenue.
Mme de La Clos-Perrière saisit le coffret et l’ouvrit devant le vieillard.
— Les bijoux sont retrouvés, mon brave Pierre. Grâce à ces témoins du passé, grâce à votre récit, surtout, la lumière est faite sur l’histoire de Jean-Renaud et la vérité sera connue bientôt. Non, ne partez pas encore.
Passez tout d’abord par la cuisine. Gertrude vous servira un morceau et vous versera un verre de vin.
Le petit vieux salua à la ronde en chevrotant des remerciements et sortit de la pièce. Alors, Mme de La Clos-Perrière se tourna vers Jean et lui prit les deux mains :
— Avez-vous compris, maintenant, mon cher enfant ?…
Rougissez-vous encore de votre arrière-grand-père ?
— Madame, je n’ose croire à tout cela !… s’écria Jean-Renaud, c’est trop beau, trop inattendu, surtout !… Et puis, il reste quand même ce coup de couteau reçu par le berger de l’Emparis…
Olivier partit d’un franc rire.
— Tu ne t’expliques pas ça, toi, l’homme pacifique !
Il faut reconnaître, en effet, que ton bisaïeul était un peu… vif ! Mais je plaide pour lui des circonstances atténuantes. Songe qu’il avait dû se cacher pendant des semaines, probablement dans quelques coins ignorés de Savoie. Lorsque les recherches entreprises dans l’Oisans eurent été un peu délaissées, il revint vers l’Emparis pour reprendre ses précieux souvenirs avant de franchir la frontière. Seulement, dans l’intervalle, le berger s’était installé dans son chalet avec ses bêtes. Jean-Renaud, qui se faisait passer pour colporteur, accepta l’hospitalité qui lui était offerte et tenta dans la nuit de recouvrer son bien. L’autre se méprit sur ses intentions et Jean-Renaud dut croire un instant la partie perdue. Pour sauver sa peau, il frappa d’un coup de couteau le bras du berger qui lui barrait le chemin, lui causant une blessure, peu grave heureusement, et put ainsi s’enfuir. C’est cet épisode qui t’a aiguillé sur la mauvaise voie. Moi-même, aux archives, à Grenoble, j’ai craint pour toi, en lisant le récit de la conspiration Didier, ce que tu n’as pas manqué de t’imaginer par la suite. Mais persuade-toi bien de ceci : ton arrière-grand-père, tel que tu te le représentais, n’a jamais existé… ni le porte-balle de l’Emparis… ni le farouche criminel dont tu croyais descendre.
Tous ceux-là n’étaient que des fantômes. Ton seul, ton véritable aïeul fut ce proscrit dont nul n’avait retrouvé les traces… Jean-Renaud de La Clos-Perrière !
— Bravo ! s’écria Édith. Je ne puis vous dire combien je suis heureuse de vous connaître, mon cousin Jean-Renaud !
— Et moi donc, ma cousine Édith !… Moi qui n’osais même pas vous serrer la main parce qu’un effrayant passé nous séparait !
Discret, Olivier tentait maintenant de s’esquiver. Mais Jean-Renaud bondit et le saisit par les épaules.
— Halte-là, mon vieux ! Tu ne t’en iras pas sans que je te remercie !… Je te dois trop !… Et puis, tu vas nous expliquer comment tu as si bien découvert la vérité !
— C’était facile, répondit Olivier. Tu te souviens de notre première visite du Val d’Olle, le soir de notre arrivée à Allemont ? Là, mon vieux, j’ai été frappé de ta ressemblance avec le portrait du proscrit. Cette ressemblance à elle seule était déjà une fameuse preuve…
— Vous aussi, vous l’avez remarquée ! s’écria Édith.
Ça ne m’étonne pas !… Autrefois, pendant mes vacances au Val d’Olle, je passais des heures en contemplation devant ce portrait qui me fascinait. On m’avait raconté la dramatique histoire de ce grand-oncle et je me perdais en suppositions sur son sort. C’est vous dire que ses traits s’étaient profondément gravés dans mon esprit.
Hier, lorsque je vous ai vu, Jean-Renaud, il m’a semblé vous connaître, mais ce n’est que le soir, en parlant de vous avec maman, que j’ai trouvé pourquoi. Cette impression provenait de votre ressemblance avec le portrait du Val d’Olle !
— Eh bien, c’est cette ressemblance qui m’a mis sur la voie, poursuivit Olivier. Ce même soir, laissant Jean accablé par ses prétendues découvertes, je suis retourné chez Antoine Guillot et l’ai interrogé. Il ne m’a appris qu’une chose importante, le prénom du proscrit. De retour, j’ai fait parler Jean et quand j’ai su que son arrière-grand-père s’appelait Jean Renaud et qu’il avait fait promettre aux siens de conserver ce nom de père en fils comme un patrimoine, alors, je n’ai plus douté de tenir le bon bout. Hier, mademoiselle Édith, vous nous avez parlé de Pierre Odoard et je suis allé l’interviewer dès aujourd’hui. Les détails qu’il m’a donnés ont tout éclairé. Alors, je n’ai pas hésité à venir vous les révéler immédiatement.
— Et maintenant, je vous laisse à votre Joie et je me sauve, de peur de manquer mon autobus !
Jean échangea avec son ami une chaude accolade ; puis Olivier prit congé des deux femmes et s’éloigna d’un bon pas sur la route d’Allemont. L’autobus était parti depuis longtemps, il le savait, mais deux lieues à pied ne lui faisaient pas peur.
« Allons ! songeait-il en se frottant les mains de satisfaction, voilà du bon travail dont je suis fameusement heureux ! Mais il était temps que je les laisse à leurs effusions. Ils doivent avoir tant de choses à se dire depuis plus de cent ans qu’ils étaient séparés ! »

Suite et fin demain.

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