La Conspiration Didier, épisode 8

FEUILLETON HISTOIRE
LA CONSPIRATION DE GRENOBLE — 1816
Texte de Auguis. Publié dans le journal Le Temps en 1841.

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Épisode 8

Sur trente individus traduits au conseil, il n’y en avait que neuf d’acquittés. Une profonde stupeur accueillit la lecture de cet arrêt ; quelques cris de vive le Roi ! se firent entendre , mais rares et honteux. Il était presque nuit, la salle était sombre ; à la faveur de l’obscurité, quelques larmes coulèrent, quelques plaintes furent proférées, mais la foule s’écoula lente et silencieuse.

Bientôt les noms des condamnés circulèrent dans toute la ville effrayée de leur nombre. Sur ces entrefaites, deux généreux citoyens, MM. Camille Teyssère et Alphonse Périer, ont acquis la preuve que deux des condamnés, Hussard et Baril, sont complètement innocents. Aussitôt leur résolution est prise de se mettre au-devant des bourreaux et de leur arracher leurs victimes ; ils ont le courage de surmonter la terreur qui s’était répandue dans tous les esprits, et de s’exposer au soupçon d’avoir secondé de leurs vœux les insurgés, ils bravent tous les dangers : arrivés devant le général Donnadieu, ils lui parlent avec tant de chaleur et d’éloquence, qu’il se surprend à verser des larmes et n’a plus la force de se refuser à assembler de nouveau les juges qui rendirent la décision suivante :
« Le même conseil, etc., réuni extraordinairement, pour délibérer sur les pièces à décharge en faveur des nommés Jean-Baptiste Hussard et François Baril, transmises à M. le rapporteur après le jugement rendu, a conclu à l’unanimité qu’il serait sursis à l’exécution des dénommés ci-dessus, condamnés à la peine de mort. »

L’effet de ce sursis fut de comprendre ces deux malheureux dans la même recommandation en grâce que les cinq autres. Il en restait encore quatorze ; ceux-là n’avaient pins d’espoir. Jugés et condamnés, la plupart sans preuves suffisantes, ils allaient marcher à la mort ! Voici comment M. Amédée Gabourd raconte dans son intéressant mémoire le massacre de ces quatorze citoyens :
« Le vendredi 10 mai 1816, vers les cinq heures du soir, la ville de Grenoble présenta un aspect lugubre ; toutes les portes étaient fermées à l’exception de la porte de France. Sur la vaste esplanade qui est située au-devant de cette porte, esplanade qui avait servi de lieu de fédération aux gardes nationales du Dauphiné, du Lyonnais et de la Bresse, en 1791, étaient alors rangées en bataille toutes les troupes de la garnison, les légions de l’Isère et de l’Hérault, les dragons de la Seine, la gendarmerie, quelques chasseurs et la garde d’honneur à cheval ; ces corps armés et menaçants formaient un carré-long ouvert du côté de la porte, et fermé de l’autre extrémité par le détachement chargé de l’exécution. Ce détachement était composé de cent hommes, pris en nombre égal dans les deux légions, et avait le dos tourné vers l’intérieur du carré. Quelques spectateurs, bien peu nombreux, occupaient le long des allées un faible espace resté vide. Le bruit du tambour annonça bientôt l’arrivée du cortège : on garda le silence, et tous les yeux prirent la même direction. Les quatorze condamnés avançaient lentement à travers un double rang de soldats ; quatorze prêtres les assistaient en ce moment suprême. Jamais, sous l’Empire et depuis la Terreur, jamais exécution capitale ne compta plus de victimes. Le ciel était couvert d’épais nuages ; un orage semblait se former, on entendait dans le loin tain le tonnerre gronder sur les montagnes ; la nature partageait l’horreur qui glaçait les âmes humaines.

» Les prêtres placèrent les condamnés à genoux sur le bord des fossés ; l’attitude de ces malheureux était froide et calme, plusieurs proféraient des cris de vive l’Empereur ! mais leurs confesseurs se hâtaient de leur imposer silence. La stupeur paraissait générale ; tout à coup un cri de vive le Roi ! se fit entendre, et annonça que l’heure était venue. Ce cri fut répété par quelques énergumènes à la chute de chaque victime, et quand toutes curent succombé, il insulta encore à leurs cadavres saignants.

» Le sacrifice était accompli.

» A cet épouvantable spectacle en succéda pour Grenoble un autre non moins odieux et plus étrange. Les cadavres fumaient encore, et un repas de cent couverts réunissait toutes les notabilités royalistes. Autour ce la table flottait un grand nombre de drapeaux blancs. La gaité la plus vive, l’enthousiasme le plus expansif animaient cette fête ; on porta des toasts, on répéta les cris de vive le Roi on but à l’entière extermination révolutionnaire et des bonapartistes : l’ivresse des royalistes fut au comble.

» Ainsi se termina cette déplorable journée. Quatorze malheureux avaient été froidement exécutés. Où étaient parmi eux les coupables ? Les uns avaient pris les armes pour « assister au passage de Marie-Louise » et aux fêtes que cet événement allait occasionner ; plusieurs avaient entraîné malgré eux ; d’autres (et le fait n’a pas été contredit) étaient de pauvres journaliers arrêtés au moment où ils apportaient leurs denrées à la ville. Certainement la conspiration et le combat étaient des faits ; mais aucun des condamnés n’avouait y avoir pris part ; aucun n’avait été défendu librement et complètement, aucun n’avait eu le pouvoir d’appeler des témoins : que leur sang retombe sur leurs juges !… »

La suite demain… 

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