
Diligence à Villar d’Arène plaque de verre fin XIXe, fonds d’archives départementales des Hautes-Alpes.
COMMUNES ROUTIÈRES ET INDUSTRIELLES DE L’OISANS
Source Gallica : Bulletins de la Société dauphinoise d’ethnologie et d’anthropologie
Date d’édition : 1929
Article connexes :
– La Conspiration Didier
– Plaidoyer pour La Petite Route
– La Petite Route de l’Oisans en 1752
NOTA : Extrait de la thèse d’André Allix, du chapitre « La Population » (livre III, chapitre I), cette analyse sur « Les communes routières et industrielles » s’intéresse aux différents facteurs qui ont influencé l’évolution des communes d’Oisans au fil du temps avant l’avènement de l’Or blanc et du tourisme industriel.
Neuf communes d’Oisans (Livet, Bourg-d’Oisans, La Grave, Allemont, Venosc, Mont-de-Lans, Saint-Christophe, Villard-d’Arêne, Le Freney-d’Oisans) ont été plus ou moins influencées par des éléments étrangers à la vie des champs : circulation routière ou industrie. Leurs courbes de population nous montrent tout de suite à quelle époque et de quelle manière elles cessent de suivre le mouvement des communes purement rurales. La route semble, dès le Moyen Âge, rendre aberrantes les courbes du Mont-de-Lans, du Villard-d’Arène, d’Allemont peut-être, accès de Savoie ; mais les chiffres ont trop peu de valeur dans cette période pour qu’on s’arrête à ces anomalies.
Au XVIIIe siècle, on voit le Bourg-d’Oisans et le Villar-d’Arène, voire le Freney, résister au dépeuplement général, pendant l’époque des guerres de Louis XV où l’Oisans a servi de passage militaire vers les champs de bataille d’Italie, et le Mont-de-Lans faire une brusque ascension. Mais l’influence routière ne devient vraiment très nette qu’après la construction de la route moderne. Tandis que le Mont-de-Lans et même La Grave semblent dès lors rendus à l’évolution rurale, le Freney, le Villard-d’Arène et le Bourg-d’Oisans dessinent des pointes successives, évidemment liées à l’ouverture des divers tronçons de la route, et au grand roulage jusqu’en 1885. Le mouvement de population confirme même d’une manière assez inattendue une conclusion que nous avions tirée déjà de l’étude des routes : le roulage à travers l’Oisans, qui se ralentit, a moins d’importance que le trafic local entre le Bourg-d’Oisans et l’extérieur, qui s’accroît ; le Bourg-d’Oisans lui-même semble profiter de la circulation plus et plus longtemps que le Villard-d’Arène, lâché par la route en 1856, et que le Freney, qui lui devait pourtant sa vie nouvelle. Après 1885 il n’y a plus de trafic routier qu’en aval du Bourg-d’Oisans, mais il s’accélère, et la construction du tramway, après 1896, fait faire à la courbe de cette ville le plus grand crochet ascendant par lequel se soit révélée en Oisans l’influence routière.
Le tourisme a beaucoup moins d’effet, à ce qu’il semble. Pourtant, il a ralenti la désertion de quelques communes où il apporte un supplément de ressources, bien que les conditions rurales y soient souvent des plus rudes. C’est le cas de Saint-Christophe.
Le hameau de La Bérarde, où la vie du paysan est terrible, compte en 1921 deux ménages de plus qu’en 1891, soit 10 au lieu de 8. Comparé à celui de tout l’Oisans rural, le déclin de Saint-Christophe, jusqu’à la guerre au moins, a été pratiquement nul. Mais, hors ce village privilégié aujourd’hui par les reliefs qui faisaient son désespoir jadis, il n’est guère en Oisans que Venosc où l’on puisse retrouver une influence analogue, et d’une manière bien plus discrète. La Grave elle-même paraît avoir décliné à peu près aussi vite que si elle n’avait pas connu le tourisme ; au Bourg-d’Oisans, les bénéfices démographiques du tourisme se confondent avec ceux de la route et du tramway. Le Villar-d’Arène semble à première vue montrer presque la même évolution que Saint-Christophe ; mais on connaît cette commune pour fort peu hôtelière, peu intéressée par le mouvement de curieux qui touche surtout La Grave et le Lautaret ; et l’allure de sa courbe vient probablement de l’industrie laitière d’hiver.
Quant à l’industrie, c’est un facteur d’évolution dont l’action en Oisans, récemment devenue considérable, a pourtant toujours été très cantonnée. Elle apparaît, sous la forme démographique, au moment où la poussée minière des Chalanches et d’Articol fait faire à Allemont un bond considérable, c’est-à-dire, entre 1755 et 1796. Depuis, Allemont se ressent des entreprises et des malheurs de Didier. Elle monte pendant l’Empire, quand les affaires minières semblent devoir reprendre ; elle baisse d’un coup au moment de la débâcle, alors que les progrès agricoles enrichissent d’habitants la plupart des autres communes. Plus tard, les essais successifs de reprise à la Fonderie d’Allemont, les espérances ranimées aux Chalanches lui permettent de reprendre et même d’accélérer le mouvement ascendant de ses voisines, qu’elle poussera même un peu plus loin. Mais après la faillite Surell l’industrie d’Allemont est condamnée ; la commune reprend l’évolution rurale ; elle ne sera quelque peu remontée, de nos jours, que par l’industrie hydro-électrique, ou plutôt par la construction des centrales, qui amène beaucoup plus de monde que leur exploitation. À côté de cela, l’effet démographique des ardoisières, comme celui de la route du Glandon, est à peu près insignifiant. Les crochets montants du Bourg-d’Oisans sont plus liés au développement de la circulation routière qu’à celui de l’industrie ; seule l’industrie textile a pu avoir ici des effets positifs, depuis le milieu du XVIIIe siècle ; mais on sait de combien d’à-coups elle a été traversée, et on en retrouve peu la trace sur la courbe de population. Le plus grand crochet, de 1831 à 1856, correspond à une période où l’industrie du Bourg est nulle ; seul, celui de 1801 à 1811 accompagne la prospérité de la filature de chanvre, mais c’est aussi l’époque où le Bourg-d’Oisans est rempli de monde par les grands travaux routiers de Dausse. Enfin, Livet est de toutes les communes d’Oisans la seule où les effets de l’industrie gouvernent nettement le mouvement de population. Cela ne commence pas tout de suite : la brusque montée de l’époque impériale marque l’aménagement de la route et le développement du trafic entre le Bourg-d’Oisans et l’extérieur. Mais ensuite, on voit se traduire sur la courbe, jusqu’au milieu du XIXe siècle, la brève prospérité de la métallurgie. Le fléchissement qui s’ensuit est vivement relevé, par la papeterie d’abord, puis surtout par les industries de houille blanche ; et pendant que la population de tout l’Oisans s’effondre, Livet connaît de nos jours un accroissement encore plus rapide que celui du Bourg-d’Oisans entre 1755 et 1846. Depuis 1926 elle a même dépassé le Bourg, prenant la tête de l’Oisans avec 2 412 habitants, en accroissement de 403 têtes sur cinq ans, tandis qu’avec ses industries locales, son tourisme et son rôle administratif, le Bourg-d’Oisans n’arrive qu’à 2 262, en augmentation de 154. On doit pourtant en retenir que, partout où la population de ce pays augmente au lieu de baisser, le relèvement est dû aux facteurs modernes de transformation..