La Conspiration Didier, épisode 11

FEUILLETON HISTOIRE
LA CONSPIRATION DE GRENOBLE — 1816
Texte de Auguis. Publié dans le journal Le Temps en 1841.

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Épisode 11

La vérité cependant pour transpirer dans le public n’attendit pas ces rectifications solennelles. Le comte de Montlivaut et le général Donnadieu, cherchant à faire valoir leurs services aux dépens l’un de l’autre, avaient fait des rapports contradictoires sur les évènements du 4 mai. Cette différence dans leurs récits amena bientôt une rupture éclatante entre ces deux fonctionnaires. Les royalistes de Grenoble se partagèrent en deux camps : ceux-ci pour le préfet, ceux-là pour le général. Du côté de ce dernier étaient les militaires ou ceux qui croyaient lettre depuis que nous avions la paix ; le préfet avait dans son parti la noblesse civile, qui depuis la Restauration s’était emparée des rênes du département dans le conseil général et dans le conseil municipal du chef-lieu. Cette élite des patriciens vota des remerciements au préfet, et émit ensuite le vœu que l’enfant de Mme la comtesse de Montlivaut fût tenu sur les fonts baptismaux par la ville de Grenoble ; nous ne nous rappelons pas si quelque épée d’honneur fut décernée au général : le ministère ne pouvant rétablir l’accord entre le comte de Montlivaut et le général Donnadieu, les sépara, en nommant le premier à la préfecture du Calvados.

Cependant le Gouvernement dont le ministre Decazes était toujours la cheville ouvrière, paraissait vouloir rentrer enfin dans les voies de la justice et de la modération. Le général Donnadieu ne put s’entendre avec le nouveau préfet, M. Choppin-d’Arnouville, et le commissaire général de police Bastard, chargés, en leur qualité de représentant de M. Decazes, d’appliquer le nouveau système que leur patron venait d’adopter. De vils démêlés s’élevèrent entre eux et le généra ! Le général Donnadieu fut destitué…

Quelques-unes des familles décimées par les exécutions militaires crurent alors que le temps était venu de demander justice contre les proconsuls qui avaient favorisé les complots, suspendu arbitrairement le cours des lois et formé des commissions extraordinaires pour ensanglanter le Dauphiné. Elles adressèrent un mémoire au Conseil d’État, dans l’espoir de se faire autoriser, conformément aux décrets impériaux à poursuivre en réparation du sang versé illégalement, l’ancien préfet d’Isère et le général Donnadieu. Le comte de Montlivaul se disculpa le mieux qu’il put, dans un rapport au Roi, où il désigna les nombreux individus des bailles et basses classes, qui l’avaient aidé à faire la porte dans son département. Le général Donnadieu publia aussi son apologie il rejeta sur l’administration civile la responsabilité des actes de cruauté qu’on lui reprochait, en déclarant que la police avait fomenté elle-même le complot et réduit l’autorité militaire à faire couler le sang pour réprimer les conspirations ourdies sous ses auspices. Au milieu de ces justifications, les parents des condamnés restaient sans vengeance ; ils portèrent leur plainte à la chambre des députés. Le général Donnadieu joignit ses instances aux leurs, pour se faire accorder son jugement public, où il lui fut permis de repousser l’odieuse épithète d’assassin de ses compatriotes, et de rejeter solennellement la responsabilité du sang qu’il avait versé, sur la tête de ceux qui le lui avaient fait répandre. M. Decazes était trop intéressé à prévenir les révélations que de semblables débats pouvaient amener, pour céder aux sollicitations de l’accusé et des accusateurs ; le souvenir de tant de machinations et d’excès ces devait être enseveli, selon lui, dans les entrailles de la Terre.

Cependant le général Donnadieu, mécontent à la fois du récit imprime du comte de Montlivaul, présente au roi sous le titre de Mémoire et de la requête vue conseil d’État publiée par l’avocat Rey, de Grenoble en laveur des parons des victimes guillotinées ou fusillées après le 4 mai ; le général Donnadieu ne pouvant obtenir la justification judiciaire qu’il avait réclamée, fit paraître à son tour un volume apologétique dans lequel il s’attacha a prouver tout ce qui s’était passé à Grenoble était l’œuvre de la police, et que si les malheureux entraînés par elle dans le piège, avaient été exterminés, c’était parce qu’elle s’était interposée entre eux et la clémence royale. Il ne s’en tint pas là : une plainte en calomnie fut dirigée par lui contre une dénonciation adressée au Conseil d’État et à la chambre des députés. Le tribunal lui alloua 10,000 fr, dommages et intérêts, dont il fit don à la police de Grenoble. L’avocat Rey, l’un des signataires de la dénonciation, fut en butte à une longue fuite de persécutions qui commencèrent par sa radiation du tableau des avocats de Paris, et le tirent en 1821 condamner à mort comme conspirateur, par la chambre des pairs.

Fin.

Auguis.

La conspiration Didier et l’Oisans, quelques précisions, dimanche 26 avril 2020.

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