La Revanche du passé – Histoire de Noël 7/7

LA REVANCHE DU PASSÉ – HISTOIRE DE NOËL 7/7
Un roman court de Guy D’Eyliac
Hébergé, au cours d’un orage, par un vieux montagnard de l’Oisans, Jean Renaud est bouleversé par un récit de son hôte, son ancêtre, colporteur, était peut-être un criminel ! 

Source Gallica : Revue Guignol – cinéma des enfants
Date d’édition : 6 janvier 1935

Autre récit :
La Goule blanche

LA REVANCHE DU PASSÉ  1/72/73/74/75/76/7 – 7/7

ÉPILOGUE

Le lendemain soir, Jacqueline, Simone et Olivier étaient assis dans l’herbe au bord de l’Eau d’Olle, non loin de la légère passerelle suspendue. L’automne, cette saison triste, s’insinuait sournoisement dans la fraîche vallée de l’Oisans. Finies, les longues journées chaudes, les tièdes crépuscules épandant leur douceur sur les champs roux où s’entassaient les blés en gerbes. Maintenant, la moisson était achevée, les foins rentrés, et, dans les petits bois de hêtres des bords de l’Eau d’Olle, au flanc des coteaux sur lesquels s’appuie Allemont, on rencontrait des paysans armés de haches. Ils abattaient des arbres entiers, dépouillaient la plaine comme la montagne dans leur hâte farouche à entasser le combustible pour l’hiver.
— Les habitants de l’Oisans ressemblent au peuple fourmi, observa Jacqueline. Dis-moi, Olivier, pourquoi taillent-ils non seulement du bois à brûler, mais encore tant de feuillages dont ils chargent si lourdement leurs mulets ?
— Ce sont les vernes qu’ils coupent au bord de la rivière ou dans les bois pour nourrir leurs chèvres lorsque la neige aura couvert les prés, expliqua Olivier.
— Comme il doit faire froid, l’hiver, dans ces montagnes ! soupira Simone.
À ce moment, deux pas firent frémir la souple passerelle. Olivier se leva vivement et s’avança à la rencontre des arrivants, qui n’étaient autres qu’Édith et Jean-Renaud. Il échangea quelques mots avec eux, puis tous trois s’approchèrent des jeunes filles demeurées sur la berge du torrent.
— Mesdemoiselles, annonça pompeusement Olivier en désignant son camarade, j’ai l’honneur de vous présenter Monsieur Jean-Renaud de La Clos-Perrière !…
— Mon cousin !… acheva joyeusement Édith.
Jacqueline et Simone les considérèrent une minute, se demandant s’ils plaisantaient. Mais Olivier reprit sérieusement :
— Je ne blague pas le moins du monde. Ma chère sœur, tu vas apprendre enfin la seule, la vraie raison pour laquelle nous vous avons faussé compagnie à la Grave. Un couteau et une chevalière sont à la base du drame. L’épilogue, c’est le retour de l’enfant prodigue en la personne de son arrière-petit-fils.
Satisfait d’avoir ainsi attisé la curiosité des jeunes filles, Olivier leur exposa en détail toute l’histoire du proscrit d’Allemont.
— Et maintenant, s’écria Jean-Renaud en manière de conclusion, je propose pour demain une dernière expédition, indispensable à mon avis. Montons tous à l’Emparis ! Nous irons conter cette histoire au vieux Souchey.

Et je ne serai pas fâché de lui restituer ce couteau que mon arrière-grand-père avait dérobé, somme toute !
Et Jean-Renaud, tirant de sa poche le vieux couteau dont le manche portait deux dauphins entrelacés, le considéra pensivement tandis que son camarade acclamait le projet par un hourra retentissant.
Lorsque Olivier eut achevé sa bruyante manifestation et que le calme fut revenu dans le pré, Édith prit la parole à son tour :
— Oui, c’est une bien grande joie pour nous que le retour de l’enfant prodigue, comme dit Olivier, sans compter que Jean-Renaud va relever le nom qui menaçait de tomber en quenouille et que le Val d’Olle ne sera pas vendu !
— Vous renoncez à votre premier projet ? questionna Jacqueline.
— Naturellement ! répliqua Jean-Renaud. Je suis tout prêt à remettre en valeur les terres qui entourent notre vieille maison. Et l’on tâchera d’y revenir très nombreux chaque année aux vacances !
— Somme toute, te voici devenu Dauphinois, mon vieux ! Grenoble n’est pas loin d’Allemont. Nous pourrons voisiner.
— Pour l’instant, je n’abandonne pas la Belgique, reprit Jean. C’est le pays de ma mère. Dès la fin de la semaine, je vais y retourner. Je veux raconter de vive voix à maman cette belle aventure. Ensuite, j’espère la décider à m’accompagner à Annecy pour les vacances de Noël. J’ai hâte qu’elle connaisse ma tante et Édith.
— Vous voyez si nous avons fait de beaux projets depuis hier ! ajouta Édith, rieuse.
— C’est un régime excellent pour Jean, approuva Olivier. Je ne reconnais plus le beau ténébreux de ces derniers jours.
— Dame ! tu m’as enlevé un fameux poids du cœur !
Vois-tu, Olivier, je n’ai qu’un regret. C’est que mon père, et avant lui mon grand-père n’aient jamais connu la vérité.
— Il faut croire qu’un caprice du sort te destinait cette vérité, mon cher garçon !
Redevenue grave, Édith se levait, prenait congé de ses amis. Son cousin l’imita.
— Maman nous attend au Val d’Olle où nous avons beaucoup de précieux souvenirs à montrer à Jean-Renaud,
expliqua la jeune fille.
— À tout à l’heure, Olivier, ajouta Jean-Renaud. Je passerai à l’hôtel avant de prendre l’autobus et je te débarrasserai de mes frusques. Ma tante a la bonté de me garder à Vaujany jusqu’à mon départ pour la Belgique.
— Quand se reverra-t-on, alors ? Nous-mêmes repartons dans deux jours pour Grenoble.
— Tu oublies l’expédition projetée. Je préviendrai le chauffeur ce soir en remontant à Vaujany. Édith et moi arriverons à Allemont demain à 7 heures. On passera par Besse où le car nous déposera le matin et il reviendra nous chercher le soir à La Grave.
— Entendu pour demain. On tâchera de jouir doublement de cette dernière journée de vacances.
Jean-Renaud et sa cousine s’éloignèrent dans la direction du Val d’Olle. Lorsqu’ils furent hors de portée de voix, Simone fit observer :
— Quelle aventure inattendue ! Alors, Jean-Renaud doit hériter en partie du Val d’Olle et des terres des La Clos-Perrière, n’est-ce pas ? Ne croyez-vous pas, Olivier, que cela va amener des questions d’intérêt terriblement difficiles à régler entre les deux familles ?
Olivier eut un indéfinissable sourire. Puis, désignant les jeunes gens qui s’éloignaient en marchant côte à côte, il répliqua d’un air entendu :
— Laissez Jean terminer ses études et lorsqu’il aura quelques années de plus et son temps de service, je suis persuadé que toutes les questions d’intérêt se régleront le plus simplement du monde.
— Quoi ? vous supposez qu’il épouserait Édith ? Mais ils sont cousins !
— Oh ! même pas à la mode de Bretagne, bien qu’ils portent le même nom ! Ce n’est pas un obstacle ! Vous voyez la petite église d’Allemont, là-haut sur son socle de rochers ?… Eh bien, je vous parie tout ce que vous voudrez que nous assisterons là à leur mariage !
Au bout du chemin, la haute silhouette de Jean-Renaud s’effaçait devant la grille du Val d’Olle pour laisser entrer Édith.

— Amen ! dit gravement Jacqueline.
Le lendemain, dans le petit chalet bossu de l’Emparis, où un grand feu de bouse sèche entretenait une tiède chaleur, Jean-Renaud expliqua à ses hôtes l’histoire du porte-balle et leur montra, en déclouant la planche qui formait le fond de l’étroit placard, la cachette dans laquelle son ancêtre avait enfermé ses chers souvenirs.
Les montagnards écoutèrent ce récit dans un religieux silence. Puis, lorsqu’il fut achevé, le vieux père Souchey sortit de sa poche un portefeuille usé d’où il tira un minuscule objet plié dans un lambeau de journal.
— Tenez, monsieur Renaud, reprenez-la, c’te babiole !
Vous mettiez tant de cœur à rechercher son propriétaire que je pensais bien vous voir revenir un jour me la demander. La voici !
— Merci, mon bon monsieur Souchey, dit Jean-Renaud.
J’accepte, car cette petite bague m’est infiniment précieuse. Mais, en échange, je tiens à vous rendre ce couteau qui vous appartient ainsi qu’aux vôtres et que vous conserverez en souvenir du proscrit qui s’abrita sous votre toit.
Et il tendit au vieillard le couteau de son aïeul. Sous la lame refermée, il avait glissé un billet de cinq cents francs soigneusement plié en huit.

— Dans quelques mois, reprit Jean-Renaud, lorsque le domaine sera remis en valeur, nous aurons besoin d’un berger. J’ai songé à vous demander votre gars Etienne…
— Ça s’ra de grand cœur, monsieur Renaud. Justement, je m’en passerai bientôt quand mon garçon sera rentré du régiment.
— Alors, c’est entendu, dès maintenant, je compte sur lui.
Toutes ces importantes questions bien réglées, la joyeuse bande goûta gaîment de pain de seigle et de fromage de chèvre. Puis il fallut songer au retour, car déjà les montagnes bleuissaient et les derniers rayons de lumière s’allongeaient sur les immenses champs de neige du Mont-de-Lans.
Dans le sentier qui descend vers la Grave, Jean-Renaud s’attarda volontairement avec sa cousine. Ils furent, bientôt, en face du grand massif de la Meije où se poursuit éternellement le fascinant dialogue de la glace et du granit. Alors, dans la lumière grave d’un austère crépuscule de montagne, Jean-Renaud prit la main d’Édith et glissa à son petit doigt la fine chevalière qu’il venait de reconquérir. C’était déjà, semblait-il, un premier anneau de fiançailles.

Guy d’EYLIAC.

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